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Rayer de la carte le monde pastoral et en particulier touareg ?
Les putschistes sahéliens et leur plan génocidaire
lundi 12 août 2024, par
En assimilant à des « terroristes » les mouvements indépendantistes de l’Azawad qui luttent depuis des décennies pour la reconnaissance des droits humains, sociaux, économiques et politiques de leur peuple, la junte malienne a réenclenché une guerre coloniale, atroce et asymétrique, menée par l’armée essentiellement contre des civils vulnérables. Pendant ce temps, les groupes jihadistes (Etat islamique et JNIM affilié à Al-Qaida) prospèrent, aujourd’hui présents à quelques dizaines de kilomètres de la capitale Bamako, sans que les autorités se montrent capables de les arrêter.
Que ce soit au Mali, au Burkina Faso et au Niger, les militaires putschistes qui se sont emparé du pouvoir et se sont confédérés militairement au sein de l’Alliance des Etats du Sahel, démontrent par leurs décisions et leurs propos belliqueux à la mode coloniale qu’ils ne comptent que sur la force pour résoudre les conflits et pour anéantir toute contestation de leur gouvernance. Au Mali, les troupes de l’armée nationale associées aux mercenaires russes Wagner payés à grand frais sur les caisses de l’État au détriment de la population ont instauré l’arbitraire et la terreur au centre et au nord du pays, ne laissant que deux options aux habitants : fuir ou mourir [1]. Le mode opératoire de ces troupes agressives pour créer l’épouvante est semblable à celui des groupes jihadistes : enlèvements, amputations, exécutions sommaires, décapitation, vol de bétail, destruction des habitations, des châteaux d’eau, des magasins, incendie des vivres et des pâturages... Ces pratiques ont été augmentées de cruautés supplémentaires comme la dissimulation d’engins explosifs dans les cadavres, la chasse à l’homme poursuivi comme gibier à écraser, les viols, le cannibalisme filmé en direct par des soldats maliens et burkinabés ivres de puissance. En effaçant d’un revers de manche l’Accord d’Alger de 2015 qui au Mali avait mis fin aux affrontements avec les groupes indépendantistes, la junte démontre en premier lieu son immaturité et son inexpérience politiques, plongeant le pays dans la violence et, à nouveau, une menace de désintégration.
Il faut dire que depuis leur érection les trois juntes ont œuvré à édifier un véritable dôme de silence autour de leurs agissements : arrestation des journalistes, interdiction des partis politiques, suppression des associations de défense des droits de l’homme, éradication de toutes les voix critiques, emprisonnement ou disparition forcée des opposants, expulsion des observateurs extérieurs.
Jusqu’où la recette du silence imposé depuis les putschs sahéliens jusqu’aux événements les plus récents pourra anesthésier l’arène nationale et internationale ? Jusqu’à quel point les puissances internationales qui prétendent défendre les droits humains – mais qui espèrent bien se réintroduire sur la scène sahélienne d’où elles ont été chassées suite à l’iniquité de leurs rapports avec ces nouveaux États qu’elles ont créés de toute pièce – se tairont-elles face aux exactions de ces régimes militaires qui depuis près de 9 mois, massacrent les populations du nord pour annexer leurs terres riches en minerai, monnaie d’échange avec les milices russes protégeant leur pouvoir ?
Voici quelques-uns de ces silences criards sur les offensives les plus récentes menées par les militaires sahéliens contre les habitants des régions du nord [2]. En mai 2024, lorsque les Forces armées du Burkina Faso ont exécuté en toute impunité des centaines de civils dans la zone de Dori [3], l’ONU n’a rien dit, la CEDEAO n’a rien dit, les États voisins n’ont rien dit, la France n’a rien dit, les USA n’ont rien dit, personne n’a rien dit.
Lorsque le 28 mai 2024, les Forces de Défense et de Sécurité du Niger ont procédé à l’exécution sommaire de 10 civils (9 Touaregs et 1 Peul) à Torodi, dans la région de Tillabéri, l’ONU n’a rien dit, la CEDEAO n’a rien dit, les États voisins n’ont rien dit, la France n’a rien dit, les USA n’ont rien dit, personne n’a rien dit. Personne sauf Alhassane Intinicar, Président du Parti nigérien pour la paix et le développement, qui s’est rendu auprès des proches des victimes pour recueillir leurs témoignages. Il a été arrêté quelques jours plus tard et condamné à Niamey le 9 juillet à un an de prison ferme pour « cybercriminalité » et « diffusion de données de nature à troubler l’ordre public et à porter atteinte à la dignité humaine »
Lorsque fin juin 2024, les Forces armées maliennes et leurs supplétifs russes de la milice Wagner ont massacré aux alentours d’Abeïbara dans la région de Kidal quelques 70 Touaregs, en majorité des civils [4], l’ONU n’a rien dit, la CEDEAO n’a rien dit, les États voisins n’ont rien dit, la France n’a rien dit, les USA n’ont rien dit, personne n’a rien dit.
Lorsque, le 20 juillet 2024, les Forces armées maliennes et leurs supplétifs russes de la milice Wagner ont poursuivi leurs exactions sanguinaires contre les civils à Tin Zaouaten en tuant à bout portant Intisniyaken ag Hamady, chef de fraction, et 7 autres civils croisés sur la route, l’ONU n’a rien dit, l’ONU n’a rien dit, la CEDEAO n’a rien dit, les États voisins n’ont rien dit, la France n’a rien dit, les USA n’ont rien dit, personne n’a rien dit.
Lorsque, en juillet 2024, les Forces armées maliennes et leurs supplétifs russes de la milice Wagner ont froidement exécuté, dans les cercles d’Abeïbera et d’Aguelhok, 82 personnes (nommément identifiées) et des dizaines d’autres rendus méconnaissables car calcinées, l’ONU n’a rien dit, la CEDEAO n’a rien dit, les États voisins n’ont rien dit, la France n’a rien dit, les USA n’ont rien dit, personne n’a rien dit.
Lorsque les Forces armées maliennes et leurs supplétifs russes de la milice Wagner ont frappé au nord et au centre du pays les campements et les villages touaregs, arabes et peuls avec leurs drones de fabrication turque en tuant plusieurs centaines de personnes, notamment des femmes et des enfants, l’ONU n’a rien dit, la CEDEAO n’a rien dit, les États voisins n’ont rien dit, la France n’a rien dit, les USA n’ont rien dit, personne n’a rien dit.
Lorsque du 25 au 27 juillet, les Forces armées maliennes et leurs supplétifs russes de la milice Wagner partis à l’assaut de Tin Zaouaten ont subi un grave revers militaire et ont été mis en déroute par quelques centaines de combattants touaregs du CSP-DPA (Cadre stratégique pour la défense du peuple de l’Azawad), le général Tiani, putschiste de l’État nigérien voisin, a repris à son compte la rhétorique malienne. Il a exprimé sa consternation et sa compassion aux dirigeants du Mali et de la Russie suite à « l’attaque terroriste barbare, lâche et ignoble, d’une coalition de forces terroristes » du 25 juillet dans la zone de Tin Zaouaten (ActuNiger, 31/07/24). La CEDEAO n’est pas en reste ; omettant la présence des supplétifs russes, elle « condamne fermement les récentes attaques contre les membres des forces de défense et de sécurité maliennes à Tin Zaouatine dans le nord du pays, qui ont fait de nombreuses victimes parmi les forces maliennes. La Commission de la Cédéao présente ses sincères condoléances au gouvernement et au peuple de la République du Mali, ainsi qu’aux familles des victimes », selon son communiqué (ADS, 7/08/24).
La défaite cuisante de l’armée malienne et de ses mercenaires étrangers a fait sur le terrain plus de 80 morts russes, plus de 45 morts maliens, environ 30 blessés évacués et une dizaine de prisonniers [5]. Aussitôt, la campagne habituelle de dénigrement des fronts de résistance touaregs s’est déchaînée dans l’espace médiatique :
– 1. le CSP serait affilié aux jihadistes du JNIM (Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn), propagande lancée par le site de soutien aux mercenaires Wagner et reprise en boucle par la presse internationale. Si ces organisations combattent toutes deux l’armée malienne, leurs actions n’ont pas été coordonnées dans les événements de Tin Zaouaten et c’est après l’affrontement avec le CSP que les mercenaires russes et les soldats maliens qui fuyaient le combat ont été attaqués par le JNIM ;
– 2. le CSP aurait bénéficié – on attend des preuves tangibles qui pour l’instant se limitent à des déclarations – d’un soutien des Ukrainiens sur le plan du renseignement jusqu’à l’idée saugrenue, pour qui connaît le terrain, d’instructeurs ukrainiens présents sur le site, entraînant avec l’Ukraine une crise diplomatique qui gagne les autres États d’Afrique de l’Ouest ;
– 3. enfin, le CSP aurait reçu l’aide du désert lui-même : terrain mou provoquant l’ensablement, sol rocailleux freinant la vitesse, vent de sable qui lui aurait permis de rassembler un nombre impressionnant de combattants probablement sortis de dunes imaginaires, introuvables sur ce site.
De telles supputations aussi abracadabrantes soient-elles rappellent la propagande intense de l’État colonial et après lui des États héritiers de la colonisation qui ont toujours diffamé les luttes touarègues, cherchant à les faire passer pour des guerres passéistes d’ethnies, de races, de castes, de monde révolu contre le monde « moderne », ou encore de groupes nécessairement instrumentalisés par des puissances internationales occultes. L’objectif reste toujours identique : dénier à ces mouvements de résistance au long terme tout sens politique. La seule perspective des autorités face à la contestation a été de préférer aux pourparlers et aux négociations l’option génocidaire [6]. Tendance confirmée par l’intérêt du ministre nigérien de la Défense, le général Salifou Modi pour le modèle de gestion des Ouigours par le gouvernement chinois, lors de sa récente visite en Chine en juin 2024 [7].
Lorsque le 30 juillet 2024, en représailles à la débâcle de Tin Zaouaten, l’armée malienne avec l’appui des forces militaires alliées du Burkina Faso, opère une frappe de drones à Tin Zaouaten, elle ne tue que des civils (de 6 à des dizaines de victimes selon les sources) et oblige leurs compagnons à fuir au risque de mourir de soif dans le désert. Tous sont des orpailleurs subsahariens originaires du Niger, du Soudan et du Tchad. Sur ce fait, les autorités du Mali et du Burkina Faso sont restées muettes, l’ONU n’a rien dit, la CEDEAO n’a rien dit, les États voisins n’ont rien dit, la France n’a rien dit, les USA n’ont rien dit, personne n’a rien dit.
Seuls les habitants du désert assiégé par les forces russo-maliennes et les groupes jihadistes crient, résistent, pleurent. Mais leurs voix restent jusqu’ici inaudibles.
Walet Ekadey
Pillage de boutiques par des soldats des FAMA et des mercenaires Wagner
Les déplacés Touaregs à Tin Zawatin
Une femme humiliée par les mercenaires Wagner à Tin Zawatin
Dans la nuit 16 mars 2024 à Amasrakad, près de Gao, une frappe de drone a fait huit blessés et treize civils tués, essentiellement des jeunes enfants.
Communiqué de presse d’Amnesty International
Quelques images qui montrent la cruauté des FAMA et Wagner y compris vis-à-vis des animaux
Lire également :
– FUIR OU MOURIR. L’armée malienne et la milice russe Wagner ensanglantent l’Azawad
– Massacres sous silence dans l’Azawad
– Épuration ethnique dans l’Azawad : Junte malienne et Wagner responsables de crimes contre l’humanité
– L’armée malienne et Wagner s’attaquent aux populations civiles (Rapport mensuel de Kal Akal)
– Azawad : Un convoi Wagner-FAMA décimé !
– Des frappes de drone ont tué 13 civils dont sept enfants à Amasrakad (région de Gao) : Communiqué de presse d’Amnesty International (27/03/2024)
[2] Les faits évoqués se réfèrent aux données documentées de manière détaillée par l’Association Kel Akal, par Human Rights Watch et par différents témoins directs des événements avec lesquels je suis en lien.
[3] Voir le rapport de Human Rights Watch qui documente l’exécution fin février par l’armée burkinabé de 223 civils, dont 56 enfants ; France 24, https://urlz.fr/rDev
[4] David Baché, Mali : une soixantaine de corps retrouvés près d’Abeibara, dans la région de Kidal, RFI, 5 juillet 2024.
[5] Voir entre autres le rapport du collectif All eyes on Wagner, https://alleyesonwagner.org/2024/08/02/ordre-de-debandade-en-azawad/ et le bilan détaillé fourni par le CSP à croiser avec les déclarations des autorités maliennes.
[6] Voir par exemple les témoignages sur la gestion génocidaire du conflit des années 1990 par les autorités maliennes, in Touaregs. Voix solitaires sous l’horizon confisqué, Survival International, 1996, https://shs.hal.science/halshs-00293895/document