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Une mascarade électorale... mais sans la Kabylie...
La visite de Bouteflika en Kabylie, fin mars 2004, a eu pour vertu de remettre les pendules à l’heure en donnant à la Kabylie l’occasion de s’exprimer.
mercredi 7 avril 2004, par
La déconfiture qu’a essuyé sur place Bouteflika n’est qu’une allégorie du rejet des élections, symptomatique du rejet du système tout entier.
Abdelaziz Bouteflika n’aura pas manqué de temps, depuis 1999, pour humilier le peuple kabyle. Un exercice dont il est passé maître et dont il soigne à chaque fois l’exécution.
Il n’y a pas si longtemps, en 1999, salle Saïd Tazrout, à Tizi-Ouzou, il déclarait devant ses fidèles que "le berbère ne sera jamais langue officielle". Ce jour là, en dépit des quelques sourires lancés par d’aucuns à l’endroit où les palabres du nain d’Alger faisaient mal, la population kabyle s’est livrée au démantèlement minutieux des inscriptions en arabe grevant le paysage de la ville : le signe avant-coureur du début d’hostilités qui ne cesseront depuis. En effet, trois ans plus tard, le 12 mars 2002, le représentant de l’Etat algérien annonce "la prise en charge des revendications fondamentales de la plate-forme d’El Kseur". Ces propos qui faisaient suite, singulièrement, à un torrent d’arrestations de militants kabyles sont ressentis comme vexatoires à l’infini de sorte que les nerfs de la Kabylie explosent et que le pays baigne à nouveau dans le sang.
Aujourd’hui, en 2004, alors que la question kabyle reste pendante, les répliques de l’histoire se font sentir. Bouteflika revient à la charge en se payant une partie de campagne en Kabylie. Grâce à la protection d’une herse mobile de plusieurs centaines de policiers, il a pu ainsi braver la défense faite aux politiques algériens de ne plus fouler le sol kabyle. Une venue qui, pour le moins, relève plus de la campagne militaire que de la campagne électorale, posant ainsi la question de savoir si cette visite est celle du candidat ou celle du représentant de l’Etat algérien ?
La question est certes anodine qu’on pourrait l’expédier. On courrait cependant le risque d’éluder tous les enjeux que recouvre la venue de Bouteflika. Car, à la vérité, est-il à ce point dupe pour croire que la Kabylie représente une vanne électorale affectée à son profit ? A-t-il oublié l’inutilité de conduire une campagne là où le sort de toute élection est scellé depuis longtemps en faveur du boycott ? Certainement pas. Dès lors, l’escapade présidentielle ne saurait prima facie être liée aux échéances algériennes du 8 avril prochain. Et, malgré les affirmations péremptoires et récurrentes de nombreux observateurs politiques, cette tournée en Kabylie ne prédétermine nullement le résultat de l’élection à venir. Nous ne leurrons pas. Ce n’est pas d’aujourd’hui que Bouteflika a perdu sa crédibilité en pays kabyle pour ne l’avoir jamais obtenue. La vérité est ailleurs : la visite de Bouteflika a pour mobiles, les mêmes, exactement, que ceux justifiant ses précédantes sorties en Kabylie.
Réactiver les "constantes nationales".
On pense, tout d’abord, à une visite exploratoire dont l’objectif est de prendre la température politique en Kabylie. Si cette hypothèse est vraie, force est de constater que la région est loin d’être pacifiée. Surtout, cette visite est-elle une occasion pour Bouteflika d’humilier une énième fois la Kabylie. Sur ce terrain, Bouteflika a toujours procédé de la même façon : en s’entourant, lors de chaque visite, de nouvelles recrues parmi les rangs des Kabyles de service. En 1999, l’ingrate mission ressortie à quelques énergumènes du milieu artistique kabyle. Par la suite au RCD de le soutenir jusqu’à lui fournir deux ministres. En 2002, c’est aux "délégués Taiwan" de porter le flambeau. Aujourd’hui, il s’autorise le luxe d’avoir à sa suite l’UDR, le parti d’Amara Benyounes. Bouteflika s’offre ainsi une série de preuves pour asseoir son discours sur l’unité nationale.
Constant dans ses propos sur les "constantes nationales", Bouteflika a réchauffé, le 30 mars dernier, les mêmes mots, exactement, qu’en septembre 1999 : que "l’Algérie n’est rien sans la Kabylie, mais la Kabylie n’est rien sans l’Algérie". Le message est clair et sonne comme une injonction subliminale à participer à la mascarade électorale du 8 avril au risque de fracturer à jamais l’Algérie en deux. A cet égard, il est à se demander si cette rupture qu’on accuse n’est pas, à la vérité, déjà bien consommée depuis le soulèvement d’avril 2001, prolongement automatique de la guerre de 1963. Deux dates au cours desquelles les autorités publiques algériennes ont assumé l’agression armée du peuple kabyle. La Kabylie, ainsi combattue et réduite à "l’isolement national", selon Ferhat Mehenni, ne pouvait, corrélativement, que s’isoler dans un nationalisme propre. Sur ce point, la crainte de Bouteflika semble détachée de la réalité. A tel point que lui-même, faisant mauvais usage d’un argument ad hominem, semble reconnaître, ne fut-ce par l’absurde ou la négative, l’existence d’une Kabylie aux marges de l’Algérie.
Bouteflika n’est qu’un symbole !
Ces leçons données par un représentant d’un Etat portant sur ses mains, le sang, indélébile, de plusieurs générations de militants kabyles sont autant de provocations à une population kabyle sensible à fleur de peau. Sitôt les paroles dites qu’on annonce les émeutes qui précèdent le flot des martyrs. Tizi-Ouzou, en ce pathétique jour de 30 mars, a renoué avec les scènes de violence opposant manifestants et forces de sécurité qui font une centaine de blessés et un nombre impressionnant d’arrestations ; aux environs de 200.
Alors que d’aucuns croient, ingénument, qu’en essuyant un tel échec en Kabylie, c’est le mirage de l’"élection présidentielle" qui s’éclipserait pour Bouteflika. Or, pour affirmer cela, encore faudrait-il avoir, d’une part, l’assurance que la Kabylie ait décidé de voter et, d’autre part, que ses voix soient déterminantes pour changer la donne au dépouillement et qu’enfin, croire que la région ait été, initialement, favorable à la reconduite à El Mouradia de Bouteflika. Cela fait trop de conditions dont aucune ne tient à vrai dire la route. L’échec de Bouteflika en Kabylie n’est pas l’échec du "candidat" lui-même. Absolument pas ! Bouteflika n’est qu’un symbole et c’est l’échec de ce qu’il représente et de ceux qui l’on mandaté qu’il faut, en revanche, souligner à double trait.
En sortant dans la rue, ce 30 mars, les Kabyles n’avaient pas l’intention de sceller le destin de Bouteflika, comme la majorité des observateurs politiques veulent nous le faire penser. Au contraire, voulaient-ils, sans doute, caractériser leur défiance vis-à-vis des autorités politiques algériennes et marquer leur rejet du système entier bâti sur la soumission et l’avilissement de leur Kabylie. Ainsi, n’ont-ils pas moins contesté l’action de Bouteflika lui-même si ce n’est celle de l’Etat entier dont la responsabilité ne fait de doute pour personne. De la sorte, il convient de se réserver de toute spéculation politicienne et en tout premier lieu, de se garder de conclure de la déconfiture de Bouteflika en Kabylie, la gloire a contrario de Benflis ou d’aucun autre candidat à la mascarade électorale algérienne. S’agissant d’une pseudo-élection dont elle semble avoir tiré son épingle du jeu, la Kabylie se refuse bien d’en être le censeur.
La rédaction de Kra n isallan