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Point de vue

L’édition en kabyle : quel avenir ?

mardi 6 septembre 2005, par Masin

Depuis quelques années, l’édition en langue kabyle s’est développée et le marché est inondé de diverses publications. Sauf que dans cette quantité de publications, il y a à boire et à manger. Si la qualité de certaines œuvres est indiscutable - elles sont généralement le fait d’auteurs crédibles et dont les compétences sont connues et reconnues -, d’autres publications sont une véritable catastrophe à tous points de vue. Certaines de ces publications sont publiées à compte d’auteur mais d’autres sont passées par des éditeurs "professionnels". D’autres sont même cautionnées et/ou par le HCA [1].
Devant une telle situation, il est tout à fait légitime que l’on se pose des questions quant aux objectifs réels de ceux qui favorisent la parution de tels écrits. Cette situation, n’est-elle pas voulue par les tenants du système algérien ? N’est-ce pas le moyen trouvé pour discréditer la littérature amazighe en favorisant l’édition et la diffusion de médiocrités monumentales : un bon moyen pour "saboter" la langue berbère. Cette hypothèse est d’autant plus légitime que le HCA est souvent impliqué dans cette stratégie de sabordage. Rappelons que le HCA a été créé en 1995 pour mettre fin au boycotte de l’école par l’ensemble de la Kabylie et permettre ainsi le déroulement "normal" de l’"élection" présidentielle ayant légitimé le général Zeroual.
L’arrêt du boycotte a été négociée principalement par le MCB-Coordination Nationale affilié au RCD [2] de Saïd Sadi qui a d’ailleurs participé aux élections présidentielles. On dit même que les généraux lui auraient promis le poste de premier ministre !
Nous publions ci-après un article de Amar Ameziane qui est un compte-rendu critique d’un de ces "ouvrages" en kabyle cautionnés par le HCA.


La Rédaction




Bu Tqulhatin ou la situation aléatoire de l’édition d’ouvrages en kabyle




Lorsque j’ai trouvé l’ouvrage Bu Tqulhatin dans une librairie de Tizi-Ouzou, je n’ai pas pu réprimer ma joie, d’autant plus que cela faisait longtemps que je voulais le lire. Son format de poche m’invitait à commencer immédiatement la lecture. Hélas... cet ouvrage rappelle la situation trop aléatoire de l’édition d’ouvrages en kabyle. Qu’on en juge.


Première surprise : il n’y a aucune mention de l’éditeur

On s’attend à trouver les informations éditoriales telles la date, le lieu et le nom de la maison d’édition, on est vite déçu de ne trouver aucune mention. On pense immédiatement au piratage...Cela est une autre histoire. Pourtant, Bu Tqulhatin n’a rien de piraté... C’est un produit local. Avec surprise, l’ouvrage s’ouvre sur une introduction. Omar Dahmoune, l’auteur, explique qu’il s’agit d’anecdotes récoltées ici et là. Des anecdotes ? Pourquoi, donc, la mention ungal (roman). Nous y reviendrons.
A vrai dire, cet ouvrage a été publié par le HCA. D’ailleurs, au détour de la première page, on retrouve bizarrement - car on s’y attend le moins- insérés en petits caractères des remerciements adressés à quelques personnes dont deux membres du HCA. Dans le numéro 11 de la revue Timmuzγa publiée par le HCA [3], il est mentionné que l’organisme a bel et bien publié l’ouvrage de Omar Dahmoune. Pourquoi, donc, cet oubli ?
Lorsqu’on parcourt le texte, on se rend vite compte que l’ouvrage est confectionné de manière ‘artisanale’ : aucune règle de notation, ni règle de ponctuation...Juste un flux de parole. De l’oralité sur du papier ?
C’est à se poser la question : comment un organisme comme le HCA, sensé travailler pour l’instauration d’une norme de transcription, laisse t-il passer des monstruosités pareilles ? Le Haut Commissariat veille décidément sur autre chose...
L’auteur, ignore t-il que l’écriture exige de la discipline ? Comment peut-il se permettre de mettre en vente un ouvrage qui peut nuire à son image ? Prend-il les lecteurs pour des ignorants ? Le premier étudiant de langue kabyle sollicité aurait gracieusement aidé Omar Dahmoune à corriger son texte, puisqu’au HCA on n’en a visiblement pas le temps.


Un texte qui n’a rien d’un roman

Qu’est ce qui motive l’appellation ungal pour l’ouvrage de Omar Dahmoune ? Nous avons cru pouvoir trouver la clef en parcourant le texte : il n’en est rien. Bu Tqulhatin n’a rien d’un texte romanesque. L’auteur a bien fait de signaler qu’il s’agit d’anecdotes. Or, la somme de ces mêmes anecdotes souffre du manque d’unité narrative pour prétendre obtenir une trame romanesque. En joignant au personnage principal Bu tqulhatin deux autres personnages, l’auteur ne réussit pas à créer cette unité tant recherchée. On est surpris lorsqu’au détour d’une page surgit l’histoire d’amour d’Amγar, un personnage secondaire, sans qu’au préalable le narrateur n’en souffle un mot. Pis, cette histoire n’ajoute rien au récit global. Justement parce qu’il n’y a pas un récit, mais des anecdotes. C’est dire que l’écriture de Omar Dahmoune peine à produire du romanesque à partir d’anecdotes. Pourtant, Belaïd At-Ali a magistralement réussi cette entreprise dans les années 1940. Il est vrai que ce dernier s’est beaucoup imprégné du genre romanesque, ce qui ne semble pas être le cas de Omar Dahmoune. Du moins dans ce texte.
Ceci dit, notre propos n’étant pas de dénigrer ni l’auteur ni son texte, c’est avec plaisir qu’on croise de temps en temps une belle expression qui donne un peu de saveur au texte : "ad truh’ed’ am teydert yečča weγyul" (p. 104) ou encore "ugadeγ ad rewleγ γef usennan ad d-γliγ deg yisennannen" (p. 83).


Qu’on en finisse avec le bricolage

Les problèmes signalés plus haut s’expliquent par l’absence d’un circuit littéraire fiable. En l’absence d’une structure qui contrôle les écrits littéraires, chacun fait ce qu’il veut : chacun sa transcription, chacun donne la dénomination qu’il souhaite à son texte, quitte, comme nous l’avons vu à travers le texte de Omar Dahmoune, à donner au lecteur un sentiment d’insatisfaction. Si l’on écrit pour être lu c’est que le lecteur doit être pris en considération. Ce qui n’est pas le cas dans beaucoup d’ouvrages en kabyle. Bu tqulhatin n’est qu’un exemple, parmi beaucoup d’autres, qui montre la situation très aléatoire du livre en kabyle. Il est grand temps que l’on arrête le bricolage, faute de quoi la littérature kabyle restera confinée dans une oralité qui perd chaque jour un peu plus de ses forces.


Amar Ameziane
Etudiant-Doctorant, Chercheur en littérature berbère (CRB, Inalco)


[1Haut commissariat à l’amazighité

[2Rassemblement pour la culture et la démocratie

[3Voici comment le HCA présente l’ouvrage : "Bu Tqulhatin est un ensemble d’anecdotes qui se sont déroulées dans les montagnes de Kabylie, dans les années 40 et 50, entre des amis inséparables. Au centre des anecdotes, un personnage plein de ruse et d’astuces pour faire face à toutes les situations : il s’agit de Bu Tqulhatin." (Timmuzγa, n°11, HCA, avril 2005)

Messages

  • Très bon article. Mais que proposez-vous, vous-même ? On voit bien que nous avons besoin d’une sorte d’académie de chercheurs. Vous êtes un doctorant, vous pouvez donc en parler à vos collègues et faire avancer les choses.

  • ce syndrome a déjà infecté les publications amazighes marocaines bien qu’elles soient peu nombreuses. On a l’impression qu’il y a des manipulateurs infiltrés dans les milieux amazighistes.
    Le gang de Bahbouh, Sahki, Cheradi, Hassani ont trouvé des disciples à Rabat et dans les montagnes.
    Les amazighophobes pourront encore sourire car la partie à laquelle ils assistent est digne des forums romains en Afrique du Nord où des gladiateurs maures et numides attirent bien les regards.

  • Je tiens à préciser que mon article n’a rien d’un écrit politique. Si la rédaction de Tamazgha a voulu lui acoller un préambule à consonnance politique, cela n’engage qu’elle. Mon écrit est dicté par le seul souci de voir évoluer notre littérature.
    Amar Ameziane

  • De grosses lacunes dans l’édition Kabyle , il y en a et beaucoup. Sauf que vous préferez vous acharner sur une une petite initiative sincère mais insuffisante et vous ne faites rien pour citer d’autres publications intéressantes à tout point de vue : écriture, organisation et contenu. Pourquoi ? Est-ce parceque ces livres sont publiés en Algérie et non en France ? Est-ce parceque ces livres ne cadrent pas avec la ligne idéologique des Kabyles de France ? Expliquez-nous mais surtout avec l’honneteteé qui doit caractériser les intellectuels modernistes que vous prétendez être ! Merci

    • Vous êtes gentil cher monsieur, mais si vous lisez bien l’introduction faite à l’article par la Rédaction, vous vous rendrez compte que nous avons été bien clairs (voir extrait ci-dessous). Nous avons bien signalé l’existence de publications de qualité. Le but de cette introduction n’était pas de parler de ces publications de qualité mais plutôt d’attirer l’attention sur les médiocrités qui inondent le marché (c’est le sujet traité par Amar Ameziane). Est-ce que cela vous dérange ? Peut-être êtes-vous d’accord avec ces médiocrités ?

      Il est vrai qu’au sein de notre Rédaction nous sommes plutôt critiques et nous disons ce que nous pensons... (la vérité ne nous fait pas peur) mais nous ne sommes pas encore dans "critiquer pour le plaisir critiquer". Nous savons également apprécier les belles choses et nous en parlons. Si vous lisez bien nos articles et notamment les annonces de publications, vous vous rendrez compte que nous signalons des publications parues en Kabylie et que nous mettons en valeur car elles nous semblent être de qualité. A titre d’exemple, aujourd’hui même nous venons d’annoncer la parution, à Alger, d’un roman de Youef Zirem. Vous voyez que ce que vous avancez est FAUX...

      Vous avez le droit d’avoir des préjugés sur Tamazgha, mais soyez objectifs. Par contre, si vous avez un problème avec la France, cela reste votre problème... Adressez-vous à la France et non pas à nous.. Vous pouvez même vous adresser à la France par l’intermédiaire des généraux algériens : ils s’entendent merveilleusement bien !!!

      Extrait de l’introduction à l’article qui a suscité votre réaction :
      "Depuis quelques années, l’édition en langue kabyle s’est développée et le marché est inondé de diverses publications. Sauf que dans cette quantité de publications, il y a à boire et à manger. Si la qualité de certaines œuvres est indiscutable - elles sont généralement le fait d’auteurs crédibles et dont les compétences sont connues et reconnues -, d’autres publications sont une véritable catastrophe à tous points de vue. Certaines de ces publications sont publiées à compte d’auteur mais d’autres sont passées par des éditeurs "professionnels". D’autres sont même cautionnées et/ou par le HCA [1]."

    • Excusez-nous, nous avons oublié un point que vous avez soulevé dans votre réaction.

      Il semblerait que les Kabyles de France vous dérangent ! Cela reste, encore une fois, votre problème. Nous, nous n’avons rien contre les Kabyles de France ou d’ailleurs. Sachez également que nous ne sommes pas des "Kabyles de France" : nous sommes des Imazighen, tout simplement... Et là où nous sommes, nous restons fiers de notre amazighité que nous affirmons et défendons.

    • A propos de l’article de M Ameziane,
      On peux dire que ce travail a un grand mérite : il a sucité le débat ; le fait qu’on parle de littérature kabyle- et qu’importe les avis- est déjà un pas vers un avenir meilleur qualitativement et quantitativement. Une chose est certe, on ne peut pas tout de même écrire n’importe quoi et se dire " vaut mieux allumer une bougie, que de maudire la nuit".
      Maintenant, si on veut avancer, autant être objectif dès à présent, autrement dit séparer le militant du littérateur, le lecteur du partisan. Or, c’est la pierre d’achoppement...
      Salutations.