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Imzouren :
"Hiatus linguistique"

Un "hiatus linguistique entre le studio et le terrain qui résume le statut de corps étranger de la télévision dite marocaine."

jeudi 26 février 2004, par webmaster

Pourquoi par exemple s’acharner à parler un arabe classique quand cela bloque la spontanéité de l’expression ? Pourquoi ne pas parler marocain ? De toute les façons à Imzouren on parle une autre langue : les témoignages des rescapés à qui on tendait le micro illustraient parfaitement cet hiatus linguistique entre le studio et le terrain qui résume le statut de corps étranger de la télévision dite marocaine.

Imzouren renvoie dans l’étymologie amazighe du mot à la notion de pionniers.

Amzouar signifiant le premier arrivé. Imzouren est maintenant une référence dans l’échelle des tragédies qui ont touché notre pays. Cette bourgade rifaine fière et sereine est née de la seule volonté de ses habitants. Transcendants les aléas de l’histoire et de la géographie, ils sont venus se greffer carrément à la ville phare d’Al-Hoceima, créant un prolongement de la ville non sans rappeler ce qu’est un quartier-ville comme Hay Mohammadi pour Casablanca. L’analogie n’est pas seulement topographique, elle est aussi quelque part symbolique. Imzouren, c’est en effet le fief de la contre-culture, avec ses figures emblématiques dans pratiquement tous les domaines, de la politique (c’est un des lieux par exemple où toutes les variantes de la gauche marocaine ont un réel fondement populaire) et surtout des arts avec une activité théâtrale et musicale longtemps florissante. La chanson amazighe, dans sa version rifaine, y compte plusieurs noms doués de talent, de grande qualité et de grande modestie.

La terre tremble à Imzouren avec son lot de deuil et de tristesse. Des vies sont brisées, des espoirs sont suspendus, des angoisses nourrissent l’horizon azuré. Comme un personnage de la tragédie antique, Imzouren, ressuscite du dessous des décombres. Une destinée inscrite dans sa généalogie, Imzouren n’est-elle pas fille de la Méditerranée, la mer qui a vu naître la tragédie ?
Lundi de la veille, une chaîne française a consacré sa soirée du prime time à un thème prémonitoire, les colères de la terre. Une soirée thématique construite notamment autour de la projection d’un film insolite dans sa forme et sa dramaturgie. Le dernier jour de Pompéi mêle en effet données scientifiques, images de synthèse et fiction. C’est une nouvelle forme de documentaire qui a été inaugurée par "L’odyssée de l’espèce" ; sa projection a été suivie d’un film, sorte de making of "Les mystères de Pompéi" et d’un magazine "On vous dit pourquoi".

Le dernier jour de Pompéi est un docu-fiction, réalisé par Ailsa Orr, et produit notamment par la BBC, incontournable dans ce genre de travaux qui font honneur à la télévision. Il nous ramène à cette journée fatidique du 24 août 79 après J.-C., le mont Vésuve se réveillait d’un lourd sommeil et entrait en éruption, dévastant Pompéi. Pompéi est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco et n’a été mise au jour qu’à partir de 1748. Les deux cinquièmes de la ville reposent encore sous plusieurs mètres de cendre et de terre. Le spectateur est introduit dans le jeu de la mise en scène, tantôt dans une attitude d’observation scientifique, tantôt dans la posture du spectateur du cinéma happé par la fiction puisque nous suivons le destin de quelques personnages affrontant un véritable déluge de feu et de pierre. Une démarche qui accentue encore la perception du drame. Les interrogations éternelles engendrées par la colère de la terre. Devant les images réalistes cette fois d’Imzouren, la dérisoire condition humaine apparaît dans sa vérité au-delà de ce raccourci historique de... vingt siècles.

Parler des images, c’est évoquer la télévision. Les deux chaînes du pays ont raté une nouvelle fois un rendez-vous ; ont montré leurs limites quasi ontologiques. Non seulement elles ont brillé par l’absence d’un premier réflexe professionnel qui consiste à adopter d’emblée la posture qui convient mais elles ont aussi fait preuve de cette indigence chronique qui les caractérise dans le traitement d’un événement à chaud : pourquoi par exemple s’acharner à parler un arabe classique quand cela bloque la spontanéité de l’expression ? Pourquoi ne pas parler marocain ? De toute les façons à Imzouren on parle une autre langue : les témoignages des rescapés à qui on tendait le micro illustraient parfaitement cet hiatus linguistique entre le studio et le terrain qui résume le statut de corps étranger de la télévision dite marocaine.

Et puis pourquoi s’acharner sur les blessés et les cadavres par ses zooms agressifs. Fac à une telle tragédie, la caméra doit se faire discrète. L’émotion est déjà là, elle précède l’image en quelque sorte. On ne cherche pas à la créer par un dispositif artificiel : tout mouvement d’appareil relève de la redondance inutile. Un reportage, dans le cas de figure, se caractérise par de la retenue, par la recherche de l’angle adéquat porté par une technique et une éthique.

Mohammed BAKRIM

Article reproduit avec l’aimable
autorisation de Liberation Maroc

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