Accueil > Actualité > Ali Khadaoui : L’IRCAM a échoué dans la mission de revalorisation et de (…)

Ali Khadaoui : L’IRCAM a échoué dans la mission de revalorisation et de promotion de l’amazighité

lundi 21 juin 2021, par Masin

Ali Khadaoui est militant du Mouvement culturel amazigh à Tamazgha occidentale. En juin 2002, il est nommé membre du Conseil d’administration de l’Ircam dont il démissionnera, avec six autres membres, en février 2005. Il est l’un des initiateurs d’un document intitulé « l’Option amazighe » qui propose de nouvelles alternatives de lutte au mouvement amazigh.

Dans cet entretien, Ali Khadaoui évoque l’actualité du mouvement amazigh à Tamazgha occidentale ainsi que la situation de la question amazighe de manière générale.



Tamazgha.fr : Quelle est la situation actuelle de l’amazighité ?

Ali Khadaoui :La situation de l’amazighité dix ans après l’officialisation (de la langue amazighe dans la constitution NDLR) se caractérise par une paupérisation qui s’apparente à un blocage bien calculé. Nonobstant, des inscriptions souvent insensées en tifinagh ça et là, les questions sérieuses, à savoir l’intégration effective de l’amazighité dans les institutions (enseignement, medias, justice, espace public ...) se fait au rythme d’un pas en avant et deux en arrière. Plus grave, les acquis post-discours d’Ajdir et création de l’IRCAM ont régressé dans les medias et l’enseignement notamment de manière drastique.

Les autorités ont décidé de dissoudre l’Ircam afin de l’intégrer dans une institution créée en vertu de la constitution de 2011. Assiste-t-on là à la fin de « la politique berbère » de la monarchie initiée avec la création de l’Ircam, ou s’agit-il d’une nouvelle manœuvre pour en finir avec les revendications amazighes ?

Le démantèlement de l’IRCAM confirme le premier constat : nous sommes visiblement devant une volonté de remettre au pas une amazighité qui n’a pas voulu s’intégrer au système comme on l’aurait souhaité. Quant au Mouvement amazigh, il assiste passivement à ce démantèlement de l’IRCAM jugé unanimement comme ayant échoué dans la mission de revalorisation et de promotion de l’amazighité. Nous sommes loin des lendemains de sa création : certains avaient applaudi alors que d’autres avaient carrément refusé.

Certains militants ont échoué à créer des partis politiques amazighs après plusieurs tentatives, d’autres ont choisi d’intégrer des partis comme le RNI ou le MP. Que pensez-vous de ces « entristes » et de cette volonté de créer absolument un « parti politique » amazigh.

La mouvance politique au sein du Mouvement amazigh connaît trois tendances :
- Une tendance qui croit que toute action politique dans les conditions actuelles est vouée à l’échec (Option Amazighe) ;
- Une tendance dghirnienne (fidèle à Ahmed Dghirni, NDLR) qui tente toujours de créer un parti politique amazigh (Tamunt pour les libertés et autres) sachant que les lois actuelles ne le permettent pas ;
- Une tendance opportuniste qui croit pouvoir continuer à militer en faveur de la cause à l’intérieur des partis politiques existants, oubliant ou feignant d’oublier toutes les expériences similaires qui ont abouti à des queues de poissons.
Ces trois tendances sont en perpétuel dialogue de manière directe et/ou indirecte.

Que faudra-t-il à votre avis pour dépasser la situation actuelle ?

Le blocage actuel est le résultat :
- Des manœuvres machiavéliques du Makhzen qui a su exploiter ce qu’on appelle ici la transition politique avec Youssoufi, et qui a pu impliquer la majorité du Mouvement amazigh dans la dynamique de l’IRCAM en 2001 et qui a fini par l’officialisation dans la constitution en 2011.
- L’attentisme des tendances du Mouvement amazigh après 2011.

En réalité, le Makhzen a opéré comme à son accoutumé : il fait semblant de lâcher du lest sans rien lâcher en réalité. Théoriquement, le Makhzen a répondu favorablement à toutes les revendications du Mouvement amazigh avec l’officialisation de la langue comme revendication ultime. Dans les faits, la langue amazighe meurt chaque jour davantage faute d’une réelle prise en charge par l’État, alors que le français et l’arabe occupent toujours respectivement la place de première et deuxième langue officielle.
Le blocage actuel ne peut donc être dépassé que par une relance courageuse du Mouvement amazigh. A ce sujet, des initiatives ont été lancées dont une par l’Option Amazighe. En effet, la plate-forme de ce groupe propose une lecture objective de l’histoire récente du pays et offre des perspectives intéressantes dont la principale est la jonction avec le système politique tribal d’avant le Protectorat, ce qui remet en cause tous les arrangements conçus entre le Mouvement dit abusivement "national" et les autorités protectorales.

Dans l’état actuel du système politique marocain, les non-dits parlent mieux que les discours : le blocage politique est tel que plus de 70 % des électeurs avaient boycotté le dernier scrutin.

Propos recueillis par,
Aksil Azergui