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Un verdict politique
Le Réublicain, le 13 novembre 2003
jeudi 13 novembre 2003, par
Lundi 10 novembre. C’est par un communiqué du ministre de la justice lu et relu sur les ondes de la radio nationale que Maman Abou apprend qu’il a été poursuivi pour diffamation par deux membres du gouvernement, et condamné par défaut le 7 novembre à 6 mois de prison ferme, 10 millions de dommages - intérêts à repartir entre Hama Amadou et Ali Badjo Gamatié et 300.000 F CFA d’amende.
Ni Maman Abou ni ses avocats encore moins quelqu’un d’autre n’ont appris l’existence de cette plainte, qui vient en sus de celle pour laquelle il a été incarcéré depuis le 5 novembre, ou même la tenue du procès. Ses avocats et lui-même n’ont jamais reçu notification de cette plainte du Premier ministre et de l’ex -ministre des Finances, à plus forte raison refuser de se présenter devant le juge pour qu’on évo-que un jugement par défaut. Pendant que se tenait ce mystérieux procès, s’il s’est réellement tenu, Maman était dans les mains des autorités judiciaires, à la maison d’arrêt de Niamey. Raisonnablement, peut-on dire qu’il a refusé de venir ou qu’il a vaqué à ses occupations, alors qu’il est incarcéré, et qu’en vertu de la loi il était possible de le conduire jusqu’au tribunal ? Encore qu’en bon citoyen, respectueux des lois et de la justice de son pays, il n’a jamais cherché à se soustraire à cette justice. C’est pourquoi, le 5 novembre, c’est de lui-même qu’il a décidé d’aller voir le juge pour annoncer son retour de voyage.
Ce verdict qui sort de l’ordinaire (la pro-cédure suivie étant elle-même extraordinaire) prouve à ceux qui ne sont pas encore convaincus que par le fait de Hama Amadou et du président Tandja, l’Etat de droit s’est désagrégé dans notre pays, parce que rien n’est gouverné par la loi, les procès ne sont plus équitables, les droits de la défense cessent d’être une réa-lité… C’est l’amorce de la jungle, où il n’y a plus de lois qui soient opposables à tous sans distinction, et où c’est la volonté individuelle de ceux qui dirigent qui tient lieu de loi.
Il n’y a plus lieu de faire valoir la dignité humaine car cette expression n’a aucune pertinence dans cet Etat totalitaire en gestation. Pour la même affaire, Maman Abou se retrouve avec une série de plaintes, une série d’inculpations, car le dessein de ceux qui dirigent est qu’il soit privé de liberté. Cet acte constitue un précédent grave et dangereux, ce d’autant que désormais par la seule volonté de Hama ou de ses courtisans, un citoyen peut être jeté en prison sans autre forme de procès.
Ce gouvernement inconscient et irresponsable n’a désormais pour alibis que de dire que tous les journalistes qui critiquent sa gestion mafieuse sont au service de l’opposition politique ou que le cadre juridique en vigueur est l’ordonnance n° 93-29 du 30 mars 1993 portant régime de la liberté de presse, alors que sous la 4ème République il y a eu deux lois dont une rectificative, et celle qui est en vigueur a été adoptée en fin 1999. Ce n’est pas une méprise mais une mauvaise foi manifeste d’un régime qui a perdu tout repère, qui a dramatiquement échoué et qui n’a plus de dessein heureux pour le pays que d’appeler ses partisans à la violence. Aujourd’hui, le combat, au-delà de l’exigence de la libération inconditionnelle et immédiate de Maman Abou, c’est d’imposer le débat sur la dépense publique, sur la gestion des ressources publiques, que quelques malins s’amusent à piller. La dépense publique ne doit plus être considérée comme un secret d’Etat, mais une affaire de tout le monde. Tout ce qui est public doit être à la portée de tous les citoyens.
La forte mobilisation de la société civile et des partis politiques doit être le pré-lude à l’avènement d’un mouvement citoyen toujours plus exigeant.
Oumarou Keïta