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Tombe de Taos Amrouche

Laurence Bourdil-Amrouche répond...

vendredi 21 janvier 2005, par Masin

Suite à la publication sur un site internet kabyle d’une information affirmant que la tombe de Taos Amrouche, se trouvant à Saint-Michel l’Observatoire (Occitanie), serait dans un état délabré, notre Rédaction a tenu à vérifier la véracité de ces propos. Pour plus de précisions, nous avons contacté Laurence Bourdil-Amrouche, fille de Taos, qui a aimablement accepté de nous accorder cet entretien dans lequel elle réagit quant aux propos diffusés sur le net concernant la tombe "mal entretenue" de sa mère.



Entretien avec Laurence BOURDIL-AMROUCHE




Kra Isallen : Nous avons, il y a un moment, exactement le 20 septembre 2003, lu sur un site internet kabyle que la tombe de Taos Amrouche est dans un état de délabrement. Une photo de la tombe a été diffusée. Quelle est ta réaction ?

Laurence BOURDIL-AMROUCHE : J’en ai été d’abord scandalisée et puis ensuite profondément peinée. Mais je suis reprise devant l’ignorance et la méchanceté de certaines personnes.
Je trouve que l’attitude de monsieur Gasse est inacceptable. S’il avait vraiment désiré me joindre pour m’alerter c’était chose facile : l’ACB a mes coordonnées et on peut me contacter à l’Inalco par l’intermédiaire de Salem Chaker. Il me paraît donc que la première chose à faire aurait été que monsieur Gasse se mette en relation avec moi le plutôt possible au lieu de diffuser tout azimut des informations et des photographies qui s’apparentent à de la délation.

Le plus terrible dans cette affaire c’est que ces mêmes personnes qui ont diffusé à profusion ces informations sont dans l’ignorance totale de ce qu’était vraiment ma mère. Ils ne connaissent pas Taos Amrouche. Que ma mère souhaita que sa dépouille repose sous une terre en friche, sous un arbre entièrement consumé lors d’un été historique où la canicule fît mourir 15000 personnes, c’est encore à discuter !... Car pour elle le devoir de mémoire ne se situait pas là.


Quelques mois plus tard (mars 2004), le même site revient à la charge et publie un autre "article" qui fait état de l’abandon de la tombe de Taos Amrouche. L’auteur déplore le fait que personne n’ait daigné s’en occuper...

Je sais, parce que nous en avons souvent parlé, que le désir profond de ma mère n’a jamais été que je sois là à entretenir son tombeau comme une vestale.

Mais par contre, que je sois la gardienne de son œuvre, tant que je vivrai, dans une fidélité totale à ses volontés et à sa mémoire, oui ! C’est ce que je fais en veillant à la pérennité de son œuvre écrite et chantée depuis sa disparition en 1976.

Pour en revenir à tous ces bavardages sur Internet autour de la tombe de ma mère, je peux dire que ses préoccupations à elle étaient de tout autre nature : son souhait était en effet d’être roulée dans un tapis et ensuite d’être ensuite plantée en terre comme une graine afin qu’un arbre puisse prendre racine sur elle !... Devant l’étonnement bien compréhensible des services administratifs de la Mairie de Saint-Michel l’Observatoire, son souhait n’a pu être réalisé et on l’a mise dans un cercueil.

Lorsque j’ai été forcée de quitter Saint Michel l’Observatoire avec mon fils de cinq ans suspendu à mon cou, la tombe fut confiée à l’amitié fidèle de grands amis établis à Saint Michel l’Observatoire depuis longtemps. Elle n’avait alors besoin que de peu d’entretien. Quant à ceux qui se sont plu à dénoncer la "ferraille" entourant la tombe de ma mère, qu’ils sachent qu’il s’agit en fait d’une grille en fer forgé de toute beauté d’époque Louis XIV, car Taos était grand amateur de ferronnerie. Elle avait acheté une rampe en fer forgé également d’époque Louis XIV qui orne encore l’escalier de pierre qui descend dans le jardin de sa maison.
Ces deux ouvrages de ferronnerie lui avaient été offerts par Michel Taulet (grand esthète et collectionneur, qui a possédé pendant longtemps le Prieuré de Saint-Michel l’Observatoire). C’est lui qui, à sa mort, a proposé que l’on entoure la tombe de cette grille magnifique. Maintenant, qu’il faille repeindre la grille dans sa couleur initiale, c’est en effet possible ! S’il y a des bonnes volontés, je ne suis pas contre. On peut s’y mettre !

Je voudrais poser à tous la question suivante : qu’est-ce que la communauté kabyle a fait pour Taos Amrouche de son vivant et même après ? Elle est morte de n’avoir pas pu chanter officiellement dans son pays pendant 40 ans. A chacun de ses concerts où j’ai pu assister, que ce soit dans les abbayes cisterciennes, que ce soit au Théâtre de la Ville à Paris ou à l’étranger où je n’ai pu l’accompagner, elle scrutait toujours du regard la salle à la fin de chaque récital pour voir s’il s’y trouvait, comme elle le disait, des « fils à elle ». Et c’est avec amertume qu’elle constatait toujours combien ils étaient peu nombreux et même parfois absents... Alors comment admettre toute cette agitation soudaine autour de sa tombe !
Nous ne devons rien à la communauté kabyle. Nous n’avons aucun compte à rendre ni à celle-ci ni à personne.

Ce n’est pas par paresse, indifférence et encore moins oubli que depuis trop longtemps je n’ai pu en effet résoudre ce souci de l’entretien de la tombe de ma mère. Mais les bouleversements qui perturbent mon existence depuis plusieurs années m’accaparent tellement que je ne puis faire face à tout... Pérenniser sa mémoire vivante est la seule tâche, avec l’éducation de mon fils, que je me suis efforcé de porter au mieux sur mes épaules.


A propos des tombes de Taos et de sa mère Fadhma, certaines voix, parmi les Kabyles, suggèrent de les rapatrier. Qu’en penses-tu ?

Je vais te répondre mon frère ! Quant à ceux qui délirent en proposant d’enlever Taos Amrouche du lieu où elle repose pour l’enterrer en Algérie, ils sont sacrilèges ! Qu’on se le dise : les choses sont exactement ce qu’elle a désiré qu’elles soient. Lorsqu’elle était proche de son dernier voyage à l’hôpital de Villejuif, immobilisée sur son lit de malade, je lui ai posé, en effet, cette question sensible : « Maman, si l’Algérie te demande, que dois-je faire ? ». Je ne sais comment elle a pu se redresser, comme dans un bond. C’est alors qu’elle m’a répondu : « Jamais ! Je t’interdis de m’enlever de là ! Je t’interdis de toucher à la tombe de ta grand-mère en Bretagne ! »

Qu’on se le dise : quoiqu’il arrive, quoique devienne l’Algérie, je défends à quiconque d’imaginer possible le rapatriement de Taos Amrouche en Algérie.


Laurence, aujourd’hui tu es l’héritière de la mémoire des Amrouche et de Taos en particulier. Comment ressents-tu cela ?

Avec passion, mais de plus en plus difficilement à cause de la grande solitude dans laquelle je suis pour veiller avec efficacité, sécurité et fidélité sur tout cela. Mais c’est là mon destin et le vœu de ma mère de la relayer à ma manière. Ce que je m’efforce de faire au mieux depuis plus de 25 ans.


Propos recueillis par
Masin FERKAL



Taos AMROUCHE
Photo : M. Yanat