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Mascarade électorale algérienne : Les urnes du mépris

par Sid-Lakhdar Boumédiene

dimanche 21 mars 2004, par Masin

Le 8 avril, la carte de l’abstention électorale se superposera encore une fois avec celle de la fracture nationale sans ébranler aucunement l’opinion de ce pays. Pour mesurer combien l’état des lieux n’a pas varié d’un pouce, une simple actualisation de date et voilà qu’un article rédigé en 2000 et publié dans la presse algérienne de l’époque s’adapte d’une manière désolante aux circonstances actuelles.


Le 8 avril, dans l’insolence et le mépris le plus outragent, les indéracinables dirigeants de ce pays entérinent une rupture nationale dont ils ne semblent pas se soucier. Que pourrait dire de plus un non berbérophone que ce qu’il n’a cessé de dénoncer dans toutes les tribunes depuis trop longtemps ?

Rien, si ce n’est d’essayer de dénoncer l’inexplicable pour autant que le spectacle de ces élections puisse trouver une explication rationnelle.

La carte électorale de la participation se superposera de nouveau avec la fracture nationale déjà lourdement dommageable pour la pérennité d’une nation fragilisée par une démarche absurde et cynique. Comme s’il s’agissait d’une bouderie et d’un simple caprice, une frange de la nation est tenue à l’écart d’une proposition électorale qu’elle ne peut manifestement accepter sans renier ses droits légitimes.

Comment peut-on admettre ce regrettable spectacle dans lequel nos compatriotes sont aujourd’hui mis en demeure de n’avoir comme choix que celui de la violence ou de la résignation ?

On aura beau dire et beau faire comme s’en référer à la langue du livre sacré, d’invoquer les califes et les sultans, de se gargariser de mythes et de légendes arabo-musulmanes, rien n’y fera, le droit est du côté de ceux à qui l’on interdit de vivre pleinement leur citoyenneté. Nos compatriotes berbérophones ont ce droit inaliénable de vivre leur identité telle qu’elle a été transmise et rien ne peut ni ne doit s’interposer à cette plénitude culturelle et sociale.

Lorsqu’on prétend partager un destin national, la moindre des choses est de considérer que la langue et la culture de votre compatriote sont aussi les vôtres. Et s’il y avait le moindre doute dans les esprits (la tenue de ces élections dans ces conditions semble confirmer qu’il y a en la matière plus qu’un doute), il faut avoir l’honnêteté et le courage de poser la question taboue sur l’utilité de continuer à perpétuer le mythe d’une nation qui n’existe que sur le papier ou par la contrainte.

Certains arguments que j’entends prononcer sont hors de propos. C’est ainsi que beaucoup n’hésitent pas, dans un réflexe de justification, à accuser nos compatriotes d’avoir eux aussi participé à la violence d’Etat, à leur rappeler qu’il y a des généraux berbérophones et que la corruption est aussi le fait de cette région. L’argument est irrecevable, fallacieux et indigne. La première des violences est de leur avoir renié un droit collectif premier, le seul qui ne peut avoir de contrepartie. Et si ce droit collectif n’est pas entier il ne saurait y avoir d’incriminations individuelles.

Commençons par rendre aux berbérophones leurs droits et je serai le premier à m’engager dans une critique violente envers certains d’entre eux dont le comportement et la compromission ont été condamnables, et cela avec la même force que celle qui m’anime envers ce pouvoir. C’est d’ailleurs en partie le cas lorsqu’il s’est agit de critiquer un parti politique qui n’a cessé de se compromettre et qui, aujourd’hui, prétend incarner la résistance démocratique [1]. De toute façon, ce sont les berbérophones dans leur globalité qui souffrent et qui payent le prix de l’humiliation, aucun autre argument ne saurait me détourner de ce constat général.

Ces gens n’ont décidément aucune conscience ni aucun scrupule car on aurait pensé qu’il y avait des limites dans la fuite en avant à laquelle ils se livrent depuis des décennies. Devant l’énormité de la conséquence de leurs actes, on en arrive presque à plaider l’irresponsabilité mentale et intellectuelle. Se rendent-ils vraiment compte que l’enjeu n’est ni plus ni moins l’explosion d’une nation ?

Probablement pas à les entendre haranguer la foule avec des tonalités et des analyses d’un autre siècle. Le temps semble s’être figé pour eux et ne permettre aucune imprégnation des avancées de l’humanisme et de la conscience intellectuelle. Autant s’adresser à un mur, nous aurions plus vite fait de le convaincre.

Finalement, puisque nous buttons contre l’inébranlable pouvoir dont ils sont dotés, on est tenté de croire que ce n’est pas tant la force de caractère qui les protège car elle n’a été que bravade nationaliste et effet de tribune. Ce n’est pas non plus la puissance de l’appareil répressif d’Etat car, même si elle reste dissuasive, elle ne peut expliquer à elle-seule que ces gens puissent être, avec Castro et Kim Il Sung, les seuls vestiges d’un monde perdu.

Non, il faut décidément s’en convaincre une bonne fois pour toute, ils ont la carapace de l’inculture, la plus rigide et la plus réfractaire lorsqu’elle a la fâcheuse idée d’être militante.

SID-LAKHDAR Boumédiene,
Enseignant.


[1Parti politique qui, d’ailleurs, cautionne ces élections par sa participation comme il a cautionné le régime de Bouteflika en y déléguant des ministres. Faut-il vraiment le rappeler ?