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Houssa Yakobi se livre sur ses "Autres Mères"

lundi 20 mars 2023, par Masin

C’est un livre passionnant, pudique et révolté que nous offre Houssa Yakobi. "Mémoires d’Autres Mères" est le titre de récits publiés par l’auteur aux éditons Falia à Aït Mellal. "MAM". Le titre résonne comme un cri, une complainte, un appel. Ce cri dessine en filigrane l’épine dorsale du livre.


Le "dé-lire" : sortir du lire et décider d’écrire

Le livre relate des fragments de vie, non seulement celle de l’auteur, mais aussi celles d’autres personnes qu’il a croisés lors de ses multiples errances, en France où il a suivi des études universitaires, aux Etats-Unis, sans oublier l’Atlas, son propre pays où il était exilé dans sa propre peau. Des faits divers réels se mélangent avec des histoires vécues par l’auteur. Il démêle, sans exhibitionnisme, une mémoire enchevêtrée marquée par plusieurs événements souvent malheureux. La vie de misère qu’il a mené lors de son enfance, la scolarisation chaotique et la vie de « sans abris », sous les ponts de Paris et dans le sud de la France.

Mais qu’est ce qui a poussé Houssa, excellent conteur d’anecdotes et d’histoires dont j’ai fait la connaissance au milieu des années 1990 alors que j’étais étudiant à Meknès, à passer à l’écrit ? L’auteur explique qu’il est un rescapé. « Ayant été privilégié du fait de ma scolarisation, j’avais le sentiment de trahir la masse des analphabètes qui me sont proches, au sens tribal, communautaire, du terme ». Il écrit que sur 1200 foyers que comptait sa tribu, deux garçons seulement ont obtenu leur baccalauréat. L’école leur était inaccessible. Cet enfant du Moyen Atlas, « scolarisé accidentellement » endosse l’habit du témoin, de porte-voix en quelque sorte. Il conte, il relate, il décrit, il dénonce la condition des femmes. Il se révolte contre la situation dans la montagne juste après « l’indépendance ».

« Intarissable bavard » et très bon conteur, ce passionné de collecte du patrimoine oral amazigh et animateur en agroécologie nous livre ses « épopées » d’enfance, ses souvenirs « anodins et fugaces ». Il écrit qu’il a décidé de rompre avec « la morale sociale source de frustration » et de ne plus considérer « l’acte d’écrire comme un privilège imparti à la seule élite ». L’acte d’écrire est pour lui une nécessité. Une thérapie lui permettant de ne pas laisser son « passé sombrer dans l’oubli ». L’auteur s’est détaché de la tradition orale et donné vie non seulement à ses propres souvenir, mais également à la mémoire collective. Il parle de ses « mamans », de ses souvenirs scolaires, de son grand-père tué dans lors de la bataille de Baddou en 1933, des résistants qui ont tenu tête à l’armée française à Tazizaout en 1932 et également de son père originaire de Tinghir.

Mamans

Houssa est né « en l’an de disgrâce d’une mère emportée par la typhoïde ». Il a été par la suite confié à d’autres mères allaitantes. Plusieurs mères, plusieurs foyers, plusieurs misères.
Ce qui est frappant dans ce livre c’est l’absence de chronologie. Aucune date. Si certains événements peuvent être datés comme les batailles, d’autres non. Ce sont des récits intimes glanés de son vécu. En filigrane subsiste une amertume, une révolte sourde, une contestation, une dénonciation de la situation dans laquelle survivaient les femmes amazighes dans les Atlas. Le cas de la veuve Yamna Abdella, résistante, qui adopta et accompagna l’auteur dans sa scolarité jusqu’à ce qu’il devienne lycéen boursier, est éloquent. « Que reste-t-il à une femme qui fut belle, militante acharnée contre la légion mangeuse de grenouilles, et qui finit ‘prostituée’ sous l’indépendance, cette indépendance dont elle ne tira aucune gloire ? » écrit Houssa Yakoubi. Yamna apporte une réponse métaphorique à cette question. « Lorsque l’outre à baratter le petit lait ne sert plus, on la fait sécher pour la découper en morceaux ».

A la fin de ce livre, Houssa adresse une lettre poignante à sa grande sœur Mouna, la mémoire et l’âme vivante de sa famille. La résiliente. Celle qui lui a appris à « ne jamais abdiquer ». Ce texte s’ouvre par une phrase déchirante « Je sais que tu ne me liras pas ». Mouna n’a jamais été scolarisée. Elle est pourtant dépositaire de la mémoire de la famille. « J’aurai aimé que tu me lises ! Vœu pieu, car nous sommes nés dans un territoire où l’écriture est une forme de pouvoir dont ne jouissent que ceux qui l’ont déjà conquis, et ce, de père en fils, voire de mère en fille », écrit Houssa.

Houssa est né vers 1950. Il se consacre à la collecte du patrimoine oral amazigh en enregistrant les récits de vie des témoins oculaires de Tazizaout. Il gère un gîte dédié à l’écotourisme à Ourtan dans la région de Zaouit-Cheikh.

Aksil Azergui